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Le projet de loi Livre 6 du Code civil et la suppression de la quasi-immunité de l'agent d'exécution : situation actuelle

Droit privé de la construction

Dans notre bulletin d'information du 9 mars 2023, nous vous avons déjà informés de quelques nouveautés importantes que le nouveau Livre 6 du Code civil entraînerait, à savoir la suppression de l'interdiction du concours entre la responsabilité contractuelle et extracontractuelle et l'abolition de la quasi-immunité de l'agent d'exécution qui en découle. Pour la pratique de la construction en particulier, dans la relation entre le maître d’ouvrage, l'entrepreneur et le sous-traitant, cela aura des conséquences importantes. Avec ce bulletin d'information, nous faisons le point sur cette question.

06 décembre 2023


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 1. Selon le droit actuel, le sous-traitant jouit d'une position confortable. Il dispose lui-même d'une créance directe sur le maître d’ouvrage s'il n'est pas payé par l'entrepreneur principal (article 1798 de l'ancien code civil, article 5.110 du code civil). D'autre part, la quasi-immunité de l'agent d'exécution à l'égard de l’arrêt dit de l’arrimeur[1] le protège contre les réclamations (extracontractuelles) du maître d’ouvrage à son encontre, qui ne peuvent être introduites que dans des conditions très strictes.[2] Ainsi, le maître d’ouvrage n'a généralement qu'une créance sur l’entrepreneur principal. Si ce dernier devient insolvable, le maître d’ouvrage se retrouve les mains vides. Il y a donc une "circulation à sens unique" entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant.

 

2. Le projet de loi relatif au livre 6 du Code civil prévoyait une véritable révolution à cet égard. Avec l'article 6.4, §2 du Code civil, le législateur a opté pour une "circulation à double sens" en supprimant la quasi-immunité de l'agent d'exécution. Le maître d’ouvrage obtiendrait ainsi une créance directe extracontractuelle contre le sous-traitant, étant entendu que ce dernier pourrait toujours invoquer (i) les exceptions et moyens de défense que l'entrepreneur principal peut ou aurait pu invoquer à l'encontre du maître d’ouvrage et (ii) ceux de la relation entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant.

 

3. L'avis du Conseil d'Etat sur ce projet de loi a été rendu le 22 mai 2023.[3] Le Conseil d'Etat y approuve la voie que le législateur a voulu emprunter. Il a toutefois souhaité des précisions, notamment sur le fondement sur lequel le maître d’ouvrage peut s'appuyer pour agir contre le sous-traitant et sur la charge de la preuve qui pèse sur le maître d’ouvrage.

 

4. Plusieurs amendements au projet de loi sur le livre 6 du Code civil ont suivi en novembre 2023. En ce qui concerne la suppression de la quasi-immunité de l'agent d'exécution, l'amendement du 14 novembre 2023[4] est particulièrement significatif.

L'objectif reste l’instauration d’ une circulation à double sens demeure, mais l'interprétation juridique change considérablement.

 

5. En vertu de l'amendement, la disposition principale devient l'article 5.110 du code civil. Un deuxième paragraphe lui sera ajouté, prévoyant une action directe contractuelle du maître d’ouvrage à l'encontre du sous-traitant :

 

 « “§ 2. Tout créancier a le droit d’exercer une action directe en son nom et pour son compte conformément au § 1er contre un auxiliaire de son cocontractant pour l’inexécution de son obligation contractuelle à l’égard de ce cocontractant. »

 

L'amendement prévoit donc une contrepartie à l'action directe historiquement connue du sous-traitant contre le maître d’ouvrage, telle que décrite à l'article 5.110, §1 du Code civil.

 

Dans les deux hypothèses, la partie poursuivie peut invoquer toutes les exceptions et défenses des deux relations contractuelles en question.

6. L'article 6.4 §2 du Code civil doit se contenter d'un rôle beaucoup plus réduit qu'initialement prévu, à savoir celui d'exception. Il prévoit actuellement que l'auxiliaire ne peut être poursuivi sur une base extracontractuelle, sauf si le dommage résulte « d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique ou d’une faute commise avec l’intention de causer un dommage ». Si l'un de ces cas exceptionnels se présente, le créancier principal lésé pourra néanmoins, en vertu de l'article 6.4, §2 du Code civil, exercer une action extracontractuelle contre l'auxiliaire qui, dans ce cas, ne pourra pas se prévaloir des exceptions et moyens de défense prévus à l'article 5.110 du Code civil.

 

7. La quasi-immunité de l'agent exécutif continue donc de susciter la controverse. Le vote sur le projet de loi et ses amendements n'interviendra qu’au cours de l'année 2024. Bien entendu, nous suivrons cela de près.

 

Pour toute question sur ce sujet, veuillez contacter Sam Ledent, Jens Lippens et Michiel Reynders (les auteurs) à tout moment.

 



[1] Cass. 7 décembre 1973, Arr.Cass. 1974, 395.

[2] Cass. 29 septembre 2006, NJW 2006, 946 : "La responsabilité quasi-délictuelle du cocontractant ne peut être engagée que si la faute qui lui est reprochée constitue un manquement non seulement à l'obligation contractuelle mais aussi au devoir général de diligence qui lui incombe et si cette faute a causé un dommage autre que celui imputable à une mauvaise exécution".

[3] Adv.RvS 23 mai 2023, n° 73 282/2, Parl.St. Chambre 2022-23, n° 3213/002. (https://www.dekamer.be/flwb/pdf/55/3213/55K3213002.pdf) 

[4] Amendement (K. GEENS, K. AOUASTI, P. PIVIN, C. HUGON, K. GABRIËLS, B. SEGERS et S. VAN HECKE) au projet de loi contenant le livre 6 "Responsabilité extracontractuelle" du Code civil, Parl.St. Chambre 2023-24, n° 3213/004 (https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/55/3213/55K3213004.pdf).

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