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Intérêts en cas de compensation judiciaire : la Cour de cassation affine encore sa jurisprudence

Droit privé de la construction

Dans les transactions commerciales, il n’est pas rare que deux personnes soient créancières l’une de l’autre. Songeons par exemple à la relation entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur, dans laquelle une créance de l’entrepreneur pour le paiement de ses travaux croise une créance du maître de l’ouvrage pour le dédommagement d’un manquement (défauts, pénalités de retard, etc.). La technique de la compensation est alors souvent appliquée : les créances réciproques sont éteintes à hauteur du montant le plus bas et seul le solde restant doit être (effectivement) payé.

16 avril 2024


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Cette technique revêt trois formes dans notre système juridique : la compensation légale, la compensation conventionnelle et la compensation judiciaire.

 

La compensation légale et la compensation conventionnelle interviennent en principe de manière automatique. Elles produisent leurs effets de plein droit lorsque les conditions légales sont remplies (compensation légale) ou au moment de l’accord de volontés si les conditions convenues contractuellement sont remplies (compensation conventionnelle). En cas de litige, une décision de justice se borne au constat de la compensation intervenue.

 

Les choses sont différentes pour la compensation judiciaire. Elle ne trouve pas son origine dans la loi ou dans une convention ; elle est née de la jurisprudence (bien qu’elle ait dans l’intervalle été transposée dans l’article 5.264 du nouveau Code civil par le législateur) sur la base de l’équité. Cette figure vise à répondre à un problème courant dans le cadre des demandes reconventionnelles. Les conditions légales de la compensation exigent en effet, entre autres, que la créance soit certaine. Cette condition n’est souvent pas remplie en cas de demande reconventionnelle dans le cadre d’un litige. Il n’est en effet pas rare que celle-ci soit contestée ou qu’elle reste à évaluer. Le juge ne peut donc pas appliquer de compensation légale au début du litige, parce qu’il doit au préalable statuer sur la demande reconventionnelle (pour la rendre certaine). La compensation judiciaire a vu le jour pour éviter que la partie qui a introduit une demande reconventionnelle doive payer en premier parce qu’elle n’est pas autorisée à appliquer la compensation légale et qu’elle soit ensuite confrontée à une partie adverse insolvable. Compte tenu de son fondement, cette forme de compensation doit être prononcée par un tribunal (et n’est pas simplement constatée).

 

Il s’ensuit que la compensation judiciaire n’intervient qu’au moment du jugement et présuppose une demande reconventionnelle judiciaire effective (alors que la compensation légale et la compensation conventionnelle peuvent être invoquées à titre d’exception). Ce qui a également un impact au niveau des d’intérêts, comme le confirme de nouveau un arrêt de cassation du 5 février 2024 (RG C.23.0082.N) :

 

  • Dans l’arrêt attaqué en cassation, le juge d’appel avait prononcé la compensation judiciaire entre une demande en paiement et une demande reconventionnelle en dédommagement pour cause d’inexécution. Cette dernière créance n’étant établie qu’au moment du prononcé du jugement, la compensation (judiciaire) n’entre donc également en vigueur qu’à ce moment-là.

  • La Cour d’appel avait toutefois également accordé des intérêts sur le solde positif — après compensation — de la demande reconventionnelle. Elle a calculé ces intérêts à partir de la survenance du dommage sur la base des faits du litige (c’est-à-dire la date à laquelle la partie concernée avait engagé ses frais), une date antérieure à sa décision.

  • La Cour de cassation a considéré que le juge d’appel avait ainsi méconnu le principe selon lequel la compensation n’intervient qu’au moment de la décision de justice. Aucun intérêt ne peut par conséquent être accordé avant ce moment sur le solde ainsi créé. La décision en appel a donc été cassée sur ce point.

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation affine encore sa jurisprudence sur le mécanisme des intérêts dans le cadre de la compensation judiciaire. Dans son arrêt du 17 mars 2022 (RG C.21.0327.N), elle avait déjà considéré que les créances réciproques qui produisent des intérêts continuent également à produire chacune des intérêts jusqu’au moment de leur compensation judiciaire (c’est-à-dire jusqu’au moment de la décision du juge).

 

Il ressort de l’arrêt commenté dans le présent article que le solde résultant de la compensation judiciaire ne peut lui-même produire des intérêts qu’à partir de la date du jugement.

 

Pour toutes vos questions concernant cette thématique, n’hésitez pas à consulter les auteurs du présent article : Marco Schoups, Nathan Van Wymeersch et Michiel Reynders.

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