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En matière de recours, il faut réfléchir avant d’agir : l’assureur qui souhaite exercer un recours contre son assuré doit être (raisonnablement) rapide… mais pas trop

Droit des assurances

Dans un arrêt du 5 mai 2023, la Cour de cassation a déclaré un assureur déchu de son droit de recours contre son assuré au motif qu’il avait notifié prématurément son intention d’exercer ce droit.

12 décembre 2023


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1.            Exemple : lors de la construction d’un bâtiment, les conseils de l’ingénieur en charge de la stabilité ne sont pas pris en compte. Le bâtiment s’effondre. L’assureur en responsabilité civile du constructeur qui n’a pas suivi les conseils est poursuivi en dommages-intérêts. La police prévoit une clause de déchéance en cas de non-respect des conseils de l’ingénieur en stabilité.

 

S’agissant d’une police d’assurance obligatoire, l’assureur ne peut pas refuser son indemnisation au tiers lésé. Pour autant qu’il se soit réservé ce droit dans la police, il peut en revanche se retourner contre son assuré en application de la clause de déchéance afin de récupérer ses dépenses auprès de lui.

 

2.             En vertu de l’article 152 de la loi relative aux assurances, l’assureur est tenu de notifier son intention d’exercer un recours à son assuré « aussitôt qu’il a connaissance des faits justifiant cette décision ». Cette obligation de notification a pour but de permettre à l’assuré de sauvegarder ses droits dans l’optique d’un éventuel recours par l’assureur. 

 

Cette condition n’est pas sans importance. L’assureur qui ne respecte pas cette disposition peut être déclaré déchu de son droit de recours, de sorte que son éventuelle action en recours peut être rejetée.

 

3.            Pour ce qui est du délai dans lequel cette notification doit être effectuée, la jurisprudence admet depuis déjà un certain temps qu’elle doit intervenir à bref délai à compter de la date à laquelle l’assureur a lui-même connaissance des faits sur lesquels il fonde son recours.

 

La Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt du 17 mars 2023 publié récemment. Après avoir eu connaissance des faits sur lesquels il fondait son recours, l’assureur avait laissé passer 3,5 mois avant de notifier son intention de recours à l’assuré. Selon le juge d’appel, cette notification était néanmoins intervenue dans les délais impartis, car il fallait tenir compte du temps nécessaire au traitement administratif au sein d’une compagnie d’assurance. La Cour de cassation a estimé que le juge d’appel, qui se prononce souverainement sur la ponctualité ou non de la notification, avait ainsi justifié sa décision comme de droit.

 

Bien qu’un assureur soit censé intervenir rapidement après avoir pris connaissance des faits pertinents sur lesquels il fonde son droit de recours, cet arrêt nous apprend que les tribunaux peuvent appliquer un « critère de raisonnabilité » et prendre en compte des circonstances extérieures. Dans cette affaire, il s’agissait du temps de traitement administratif, mais il est tout à fait concevable que le juge puisse tenir compte de ce critère lors de son examen dans d’autres circonstances (par exemple, le temps d’étude dans des enquêtes complexes, la (non-)coopération de l’assuré...).

 

4.            Peu après, le 5 mai 2023, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur la situation inverse. Dans le cadre d’un accident de la circulation, un assureur, peut-être effrayé par les conséquences d’une notification tardive, avait notifié à son assuré son intention d’exercer un recours contre lui. Dans l’impossibilité de déterminer déjà à ce moment-là sur quel motif il fondait ce recours (ivresse ou conduite en état d’intoxication par des stupéfiants), l’assureur avait mentionné les deux dans sa notification.

 

Le juge d’appel avait estimé que l’assureur lui-même ne connaissait pas (bien) les faits et qu’il n’était dès lors pas encore autorisé à communiquer son intention de recours (du moins pas pour les faits qui n’étaient pas encore (bien) connus de l’assureur). La Cour de cassation s’est ralliée à ce point de vue. L’assureur est resté déchu de son droit de recours contre son assuré.

 

Concrètement, l’assureur qui décide d’introduire un recours ne peut donc pas en aviser prématurément son assuré. Les faits que l’assureur souhaite invoquer à l’appui de sa demande doivent être certains et dépasser le niveau des spéculations (fussent-elles fondées). Dans la perspective d’une contestation ultérieure, il peut même être utile pour l’assureur, lorsqu’il notifie son intention de recours, de se référer aux pièces probantes concernant les faits sur lesquels il fonde son recours.

 

5.            En résumé, l’assureur a tout intérêt à faire preuve de vigilance dans le choix du moment où il informe son assuré de son intention d’introduire un recours contre lui. Plusieurs risques se profilent à l’horizon. Les conséquences d’une notification de recours effectuée hors délai ne sont pas négligeables. De plus, de nombreuses questions restent sans réponse. Appliqué à la situation que nous avons décrite au début du présent bulletin d’information, par exemple :

 

  • Quand l’assureur a-t-il « connaissance » des faits sur lesquels il fonde son droit de recours ? Cela peut-il déjà être le cas dès que l’assuré remet à l’assureur, après le sinistre, son dossier avec des documents « as-built » et les conseils de stabilité (non respectés) ? Le bref délai dont dispose l’assureur pour agir commence-t-il alors à courir immédiatement ? Ou bien l’expertise technique habituelle peut-elle être considérée comme un « délai de traitement administratif » ?

  • Supposons que les causes du sinistre soient multiples : l’assureur peut-il alors attendre d’avoir la certitude qu’elles sont toutes connues et envoyer à son assuré une notification unique de son intention d’introduire un recours, en invoquant tous les motifs sur lesquels ce recours est fondé ? Ou bien doit-il agir dès qu’il a connaissance d’au moins une cause ouvrant le droit au recours et notifier ensuite séparément à l’assuré les causes ultérieures éventuelles ?

 

En 2021 déjà, la Cour de cassation avait jugé que l’assureur qui exerce son recours pour un motif autre que celui dont il a eu connaissance en temps utile est également déchu de son droit de recours. Tant l’assureur que l’assuré ont donc intérêt à identifier rapidement le risque de recours et à se montrer vigilants quant aux faits pertinents y afférents.

 

Pour davantage de questions concernant cette thématique, n’hésitez pas à contacter Bob Goedemé, Nathan Van Wymeersch et Sarah Van Praet (les auteurs).

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