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C'est toujours mieux quand c'est neuf: fin de l'abattement pour vétusté (Cass. 17 septembre 2020)?

Droit privé de la construction

Si un débiteur cause un dommage aux biens du créancier et que l'exécution ou la réparation en nature ne donne pas satisfaction au créancier, le débiteur sera tenu de dédommager le créancier en espèces (exécution en équivalent).

31 mars 2021


Le droit belge défend ainsi le principe de la “réparation intégrale du préjudice” (par exemple: Cass., 5 décembre 2014; Cass., 28 février 2020) en s'efforçant de placer le créancier dans une situation qui s'apparente le plus possible à la situation qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit.  Moyennant quelques légères adaptations, ce principe est applicable à la fois en matière contractuelle (par exemple si un entrepreneur endommage l'installation HVAC de son donneur d'ordre lors de l'exécution de travaux de réparation) et extracontractuelle (par exemple en cas d'accident de la route).

Ce principe place toutefois les tribunaux face à un véritable dilemme lorsque les biens endommagés sont plus anciens ou présentent des traces d'utilisation (par exemple une installation HVAC irréparable datant de l'an 2000).  Faut-il accorder un dédommagement pour permettre au créancier d'acheter une installation HVAC datant de l'an 2021, c'est-à-dire une valeur à neuf (ce qui équivaut à placer le créancier dans une meilleure situation que celle qui était la sienne avant le fait dommageable) ou faut-il limiter le dédommagement à la valeur de l'installation HVAC au moment du fait dommageable, c'est-à-dire en fonction de sa valeur réelle (ce qui équivaut à placer le créancier dans une situation plus défavorable que celle qui était la sienne avant le fait dommageable si ce montant ne couvre pas le remplacement des biens endommagés)?  Ce même dilemme s'applique tout autant aux frais de réparation concernant les nouvelles pièces si l'installation HVAC est encore réparable.

Avant l'arrêt de cassation du 17 septembre 2020, une certaine jurisprudence préconisait l'application d'un pourcentage d'abattement par rapport à la valeur à neuf en fonction de la vétusté, de l'âge et de l'usure des biens, une solution qui correspond à la valeur au moment du fait dommageable.  Cette solution mieux connue sous l'appellation “abattement pour vétusté”, a eu les faveurs de la Chambre néerlandophone de la Cour de Cassation dans deux arrêts en date du 11 février 2016 et du 5 octobre 2018.  Dans les deux arrêts, la Cour a estimé que le créancier a droit au “montant nécessaire pour acquérir une chose similaire.  La valeur de remplacement est égale à la valeur réelle [ó valeur à neuf] de la chose bien détruite”, l'abattement pour vétusté étant ainsi admis en tant que norme.  Bien que la décision de la Chambre néerlandophone de la Cour semble donc constituer une jurisprudence constante, l'abattement pour vétusté continuait d'être critiqué par les partisans du principe de la réparation intégrale.  La Chambre francophone de la Cour n'avait jusque-là encore jamais été amenée à se prononcer concernant cette problématique.

La Cour a été saisie en français du litige à l'origine de l'arrêt de cassation du 17 septembre 2020, mais de crainte d'assister à l'émergence d'une jurisprudence contraire entre la Chambre francophone et la Chambre néerlandophone de la Cour de Cassation, la Cour a été invitée à se pencher – en audience plénière – sur l'abattement pour vétusté.

Dans cette affaire, un entrepreneur réalisait des travaux de terrassement dans le cadre de la transformation et de l'extension d'un logement existant.  Peu après les travaux de terrassement, l'habitation existante s'est effondrée.  L'expert judiciaire désigné a effectué deux estimations du sinistre: la première était fondée sur la valeur des murs qui se sont effondrés au moment du fait dommageable et la deuxième sur la valeur à neuf des travaux de reconstruction.  Les donneurs d'ordre ont établi leur demande sur la base de la deuxième estimation mais en ont été déboutés à la fois en première instance et en degré d'appel: une vétusté a été portée en déduction en raison de l'état d'ancienneté des murs qui se sont effondrés, ce qui aurait été démontré par l'instabilité des fondations.

Lors de la procédure en cassation, les donneurs d'ordre ont invoqué, pour principal moyen, le principe de la réparation intégrale, que méconnaîtrait l'abattement pour vétusté (d'autant que la précarité des fondations n'était pas relevée par le rapport d'expertise).  La Cour a suivi en cela les donneurs d'ordre – l'audience plénière de la Cour battait ainsi en brèche la jurisprudence antérieure de la Chambre néerlandophone de la Cour – en estimant que: “En règle la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose, sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose endommagée ”

Le dilemme est-il de ce fait définitivement tranché par la Chambre plénière de la Cour de Cassation?  Est-ce toujours mieux quand c'est neuf?  Pas tout à fait.  Une nuance que l'arrêt s'abstient de faire (mais à laquelle il ne ferme néanmoins pas la porte en utilisant les termes “En règle”),  est que:

  • des dérogations légales (par exemple dans la loi relative aux assurances) ou conventionnelles (par exemple dans le contrat d'entreprise) dans lesquelles un abattement pour vétusté est prévu formellement, peuvent exister.

  • il existe certaines situations dans lesquelles l'abattement pour vétusté est tout à fait conforme au principe de la réparation intégrale.  Songeons par exemple aux biens disponibles à suffisance sur le marché de l'occasion: le donneur d'ordre des travaux effectués à l'installation HVAC réparable peut, moyennant le paiement d'un dédommagement après abattement pour vétusté, retrouver une situation s'apparentant étroitement à la situation qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit, dès lors que des pièces de rechange datant de l'an 2000 peuvent être achetées sur le marché de l'occasion.  À contrario, une réparation selon une valeur à neuf pourrait tout autant sembler déraisonnable voire même abusive pour des biens qui se trouvent en très mauvais état (par exemple à la suite d'un mauvais entretien de l'installation HVAC par le donneur d'ordre) ou qui ont une durée de vie limitée et concernant lesquels un temps d'utilisation important s'était déjà écoulé au moment du fait dommageable.

Ce qui pourrait, à première vue, sembler sonner le glas de l'abattement pour vétusté pourrait plus concrètement être interprété comme un appel à un examen effectué systématiquement au cas par cas en vue de déterminer un dédommagement s'apparentant le plus étroitement possible au principe de la réparation intégrale.  Michael Thielens et Siegfried Busscher se tiennent à votre disposition pour toute discussion des conséquences de cet arrêt pour votre dossier ou pour un examen de votre convention dans l'optique de l'introduction ou non d'un abattement pour vétusté.

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