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La Belgique adopte son système de filtrage des investissements directs étrangers : quelles conséquences attendre?

Droit des entreprises

La Belgique est au centre de l’Europe. De par sa situation géographique stratégique et la présence sur son territoire d’institutions et d’infrastructures majeures (UE, port d’Anvers etc), elle a toujours attiré les investisseurs étrangers.

Le constat de l’attractivité d’un pays pour les capitaux étrangers est évidemment positif. Il doit toutefois être nuancé lorsqu’il conduit à un afflux incontrôlé d’investissements, mettant potentiellement à mal le contrôle par le pays concerné de certains secteurs essentiels.

27 juin 2023


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C’est le raisonnement dans lequel s’inscrit l’adoption des règles en matière d’investissements directs étrangers (les « IDE »).

 

L’enjeu de cette réglementation est de réussir à ménager la chèvre et le chou en contrôlant les investissements étrangers qui peuvent présenter un « risque » pour notre pays, en particulier lorsqu’ils concernent certains secteurs sensibles, tout en ne décourageant pas les investisseurs potentiels.

 

1.    La tempête

L’Union Européenne lance les hostilités en adoptant le Règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union (le « Règlement », J.O. 21 mars 2019, p. 79).

 

Comme son nom l’indique, le Règlement, qui est applicable depuis le 11 octobre 2020, définit un cadre dans lequel doivent s’inscrire les mécanismes de filtrage qui sont adoptés par les états-membres.

 

La Belgique emboîte le pas du législateur européen avec l’accord de coopération du 30 novembre 2022 visant à instaurer un mécanisme de filtrage des investissements étrangers directs (l’ « Accord de coopération »).

 

Le but est clair : se donner les moyens de contrôler les investissements tombant dans le champ d’application de la réglementation et, le cas échéant, de les empêcher d’avoir lieu.

 

Quelles sont les lignes de force de l’Accord de coopération ?

 

1.1.        Définition générale d’IDE et d’ « investisseur étranger » : quel type d’investissements et par qui ?

L’article 2, 3° donne une définition préliminaire de ce que recouvre la notion d’IDE : « un investissement de toute nature auquel procède un investisseur étranger et qui vise à établir ou à maintenir des relations durables et directes entre l’investisseur étranger et l’entrepreneur ou l’entreprise, y compris des investissements permettant une participation effective à la gestion ou au contrôle de cette entreprise ».

 

La définition est donc très générale et large à ce stade.

 

L’investisseur étranger dont il est question est quant à lui défini comme suit (article 2, 4°) :

  • toute personne physique ayant sa résidence principale en dehors de l’Union européenne ;

  • toute entreprise relevant d'un pays tiers, constituée ou autrement organisée conformément à la législation d'un État tiers non-membre de l’UE, dont le siège statutaire ou l’activité principale se situe dans un État en dehors de l’UE ; ou

  • toute entreprise dont l’un des UBO a sa résidence principale en dehors de l’UE ;

 

y compris, mais sans s'y limiter, les autorités publiques, les institutions publiques, les entreprises publiques et les entreprises et institutions privées qui souhaitent acquérir le contrôle d'une entité établie en Belgique ou dont le siège principal est établi en Belgique.

 

1.2.        Champ d’application concret : quels investissements ?

L’article 4 de l’Accord de coopération précise encore que sont visés les investissements directs étrangers qui peuvent avoir un impact sur la sécurité ou l’ordre public en Belgique tel que prévu par le Règlement, ou pour les intérêts stratégiques des entités fédérées.

 

Ils sont de deux types :

 

  • D’une part les investissements qui donnent lieu, directement ou indirectement, à l'acquisition d'au moins 10% des droits de vote dans des entreprises établies en Belgique et dont les activités sont liées aux secteurs de la défense, y compris les produits à double usage, de l'énergie, de la cybersécurité, des communications électroniques ou des infrastructures numériques, et dont le chiffre d'affaires annuel au cours de l'exercice précédant l'acquisition d'au moins 10% des droits de vote était supérieur à 100 millions d'euros ;

  • D’autre part les investissements qui donnent lieu, directement ou indirectement, à l'acquisition d'au moins 25% des droits de vote dans des sociétés ou entités établies en Belgique, dont le chiffre d'affaires au cours de l'exercice précédant l'acquisition d'au moins 25% des droits de vote est supérieur à 25 millions d'euros. et dont les activités concernent certains secteurs particuliers définis à l’article 4, §2, 2° de l’Accord de coopération, notamment :

 

o    Infrastructures critiques dans certains secteurs ;

o    Technologies et matières premières essentielles pour certains secteurs ;

o    L’approvisionnement en intrants essentiels tels l’énergie, les matières premières ou la sécurité de la chaîne alimentaire ;

o    L’accès à des informations sensibles ;

o    Le secteur de la sécurité privée ;

o    La liberté et le pluralisme des médias

o    Etc.

1.3.        Création du CFI

L’accord de coopération (article 3) crée le Comité de Filtrage Interfédéral qui est chargé de son application. Il est composé de représentants de l’Etat fédéral ainsi que des différentes entités fédérées.

 

1.4.        Exclusion

Intéressant à noter : les investissements visant à créer de nouvelles activités économiques (green field) sont exclus du champ d’application de l’Accord de coopération (article 4, §4).

 

Cette exclusion paraît logique dans la mesure où, comme écrit plus haut, l’idée est de ne pas décourager les investisseurs étrangers ni l’innovation dans de nouveaux secteurs.

1.5.        Procédure

Quelle procédure faut-il suivre lorsqu’une opération envisagée tombe dans le champ d’application de la réglementation sur les IDE ?

 

Notification (articles 5 et 6)

L’investisseur étranger envoie au secrétariat du CFI, après la conclusion et avant la réalisation de l’accord, la publication de l’offre d’achat ou d’échange, ou l’acquisition d’une participation de contrôle, une notification.

Il est également possible de notifier un projet d’accord.

 

La réglementation est aussi applicable aux sociétés cotées et l’opération envisagée doit être suspendue pendant la durée des procédures de vérification et de filtrage éventuel.

Procédure de vérification (article 17)

Après réception du dossier complet, le CFI vérifie les informations et détermine notamment si la transaction envisagée est susceptible de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité nationale ou aux intérêts stratégiques.

Décision du CFI (article 18)

La décision de conclure favorablement la procédure de vérification est notifiée aux parties au plus tard dans les trente jours suivant la réception du dossier complet par le secrétariat du CFI.

 

Si le CFI décide d’entamer une procédure de filtrage, il en informe les parties et les instances européennes en vertu du Règlement.

Procédure éventuelle de filtrage et avis/rapport (articles 19 et 20)

La procédure de filtrage s’appuie sur les conclusions de la procédure de vérification.

 

Elle n’est entamée qu’en cas de décision négative du CFI à l’issue de la procédure de vérification.

 

En ce sens, elle constitue donc une étape supplémentaire dans le contrôle de l’admissibilité d’un IDE.

Un avis ainsi qu’un rapport sont établis par le CFI à l’issue de la procédure de filtrage.

Mesures correctives (article 21)

L’Accord de coopération prévoit la possibilité, afin d’arriver à un avis positif à l’issue d’une procédure de filtrage et en cas de projet d’avis négatif, de prendre des mesures correctives « qui réduisent l’impact éventuel sur l'ordre public et la sécurité nationale, d'une part, ou sur les intérêts stratégiques, d'autre part, jusqu’à un niveau acceptable pour obtenir une décision positive ».

1.6.        Sanctions

L’article 28 de l’Accord de coopération prévoit qu’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 10 % de l’investissement concerné peut être infligée en cas de non-respect de la réglementation.

1.7.        Recours

Un recours (non suspensif) peut être introduit contre la décision finale d’admissibilité ou de non-admissibilité devant la Cour des marchés (article 29 de l’Accord de coopération).

1.8.        Entrée en vigueur

 

Le texte ainsi adopté a été soumis aux parlements des différentes entités fédérées et devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2023.

2.   Le verre d’eau ?

Ainsi exposé, le régime mis en place par la Belgique peut à première vue paraître draconien et de nature à avoir un impact important sur le marché.

 

L’administration fédérale estime toutefois (chiffres relayés dans le journal l’Echo du 30 novembre 2022) :

 

  • À 70-80 par an le nombre de dossiers soumis à la phase de vérification ;

  • À 3-5 par an le nombre de dossiers soumis à la phase de filtrage ;

  • Qu’un dossier problématique pourrait être rencontré tous les 2-3 ans (il s’agirait principalement de dossier impliquant des puissances étrangères).

Il faut dont relativiser l’impact potentiel de la réglementation.

Quelles sont les implications pratiques auxquelles s’attendre, notamment sur le marché des fusions et acquisitions ?

 

Elles sont principalement de trois types :

 

  • Timing des transactions : les deals doivent être mis en standby en attendant le feu vert du CFI ;

  • Ralentissement du marché : l’instauration de mécanismes de filtrage des IDE a entraîné une diminution du nombre d’opérations aux USA (68 %) et en France (40 %), en ce qui concerne les sociétés soumises aux mécanismes de filtrage ;

  • Sociétés cotées : certains voient dans les mécanismes de filtrage des IDE une protection complémentaire anti-OPA pour les sociétés cotées. On pourrait donc craindre que le management de ces sociétés se repose davantage sur ses lauriers.

3.   Conclusion

 

Il est bien évidemment trop tôt pour tirer des conclusions alors que la réglementation présentée n’est pas encore entrée en vigueur : il faudra examiner les règles à l’aune de la pratique.

 

On peut toutefois supposer, compte tenu des chiffres cités ci-dessus, que l’impact restera limité en termes de volume global de transactions. En revanche, il sera évidemment plus important en ce qui concerne les transactions soumises à la réglementation.

 

Au niveau européen, le Règlement prévoit (article 15) un monitoring des règles tous les 5 ans, avec une première évaluation avant le 12 octobre 2023 : il sera intéressant d’examiner le rapport rendu dans ce cadre, notamment en ce qui concerne l’application des règles adoptées par les autres Etats-Membres.

 

Nul doute que la doctrine juridique belge se chargera de faire le point sur l’application de la réglementation interne sur les IDE le moment venu.

 

Pour aller plus loin, il est également intéressant de garder un œil sur une autre réglementation, qui entre en vigueur quasiment simultanément (12 juillet 2023) : le Foreign Subsidies Regime. Comme leur nom l’indique, ces règles visent les subsides octroyés par les états hors-UE aux entreprises actives sur le territoire de l’UE ; il s’agit d’étendre les mailles du filet du régime des aides d’état, qui vise uniquement les aides octroyées par les états-membres à « leurs » entreprises, tandis que les subsides reçus par des entreprises opérant sur le territoire de l’UE, de la part de pays hors-UE, ne sont actuellement pas réglementés.

 

En définitive, les mécanismes relatifs aux FDI et aux FSR participent au mouvement général qui voit exploser le scope des due diligences dans le cadre des opérations de fusions et acquisitions.

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