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Absence d'intervention obligatoire de l'architecte : dans quelle mesure le tribunal peut-il lui-même se prononcer sur la nullité (absolue) et les conséquences pour le contrat d’entreprise ?

Droit privé de la construction

La Cour de cassation s'est prononcée de nouveau sur la nullité des contrats de construction (vente sur plan) en l'absence de l'intervention obligatoire de l'architecte et du rôle du juge à cet égard. Dans ce newsflash, nous vous présentons l'arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2020. Avant d'aborder le fond de cet arrêt (voir point 3.), nous allons (brièvement) expliquer certains principes juridiques (voir points 1. et 2.).

26 janvier 2021


1. L'INVOCATION D'OFFICE DE MOTIFS (ABSOLUS) DE NULLITÉ PAR LE TRIBUNAL

Le droit belge fait une distinction classique entre (i) une règle de droit impératif et (ii) une règle d'ordre public (et des bonnes mœurs). Les deux règles poursuivent une finalité différente :

  • une règle de droit impératif vise généralement à protéger une partie contractante en position de faiblesse dans la négociation (par exemple, le travailleur ou le consommateur)

  • une règle d'ordre public (et des bonnes mœurs), d'autre part, est présumée toucher aux fondements de notre ordre social et donc protéger l'intérêt public. La base juridique du droit des contrats se trouve dans l'article 2 du code civil, qui stipule que "on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs".

D’un point de vue terminologique, un autre nom est également utilisé dans le cas où une règle n'est pas respectée et peut être sanctionnée par la "nullité" : si un contrat viole une règle de droit impératif, il est relativement nul ; si une règle d'ordre public est violée, le contrat est absolument nul.

Toutefois, qu'il y ait nullité relative ou absolue, la sanction de la nullité aura dans les deux cas un effet rétroactif ("ex tunc"). Dès que le juge décide que le contrat est nul, les parties sont (fictivement) réputées n'avoir jamais conclu de contrat entre elles. En l'absence de tout lien juridique, les parties devront logiquement rembourser ou restituer tout ce qu'elles ont obtenu l'une de l'autre (ce qu'on appelle "l'obligation de restitution"). Si la restitution en nature n'est pas possible, elle se fait par son équivalent (en valeur).

Bien que la distinction entre nullité relative et absolue ne soit plus rigoureusement poursuivie aujourd'hui dans toutes ses conséquences[1], elle n'est certainement pas dénuée de pertinence, et elle possède en particulier des implications procédurales importantes, comme nous le montrerons également plus loin.

Il existe une différence importante, à savoir le fait que le tribunal doive soulever d'office l'effet de la règle d'ordre public, alors que dans le cas des règles de droit impératif, seule la partie dont l'intérêt est protégé par cette règle peut (en principe) invoquer sa sanction.

2. LA RELATION TENDUE AVEC LE PRINCIPE DISPOSITIF ET LES DROITS DE LA DÉFENSE

Comme mentionné ci-dessus, le tribunal est tenu d'appliquer d'office une règle d'ordre public et, en cas de violation d'un contrat comportant une règle d'ordre public, de déclarer le contrat (absolument) nul et non avenu. Ce serait du moins une conclusion logique sur la base des principes exposés ci-dessus.

Toutefois, dans les procédures civiles, le juge est également lié par le principe dispositif. Cela suppose que seules les parties à la procédure peuvent prendre l'initiative d'introduire une demande, qu'elles déterminent exclusivement la cause et l'objet de leur demande, qu’elles déterminent quels moyens elles invoquent, qui elles impliquent dans la procédure, etc. Ces décisions relèvent de l'autonomie procédurale des parties.

Le juge doit donc adopter une attitude passive et respecter les limites définies par les parties, ce qui limite évidemment fortement la capacité du juge à établir la vérité. Le juge ne peut donc rien accorder qui n'ait été demandé par les parties. Dans un tel cas, il statuerait ultra petita, ce qui est expressément interdit par l'article 1138, 2° du Code judiciaire.

En outre, le juge doit également respecter les droits de la défense à tout moment, c'est-à-dire permettre aux parties d'intervenir dans un recours juridique qui a été invoqué d'office.

Vous sentirez immédiatement qu'un champ de tension est au premier plan ici. Les questions qui se posent alors sont : "Que faire si un contrat (d’entreprise) est contraire à l'ordre public, mais que la nullité (absolue) n'est revendiquée par personne devant le tribunal ? Le juge peut-il ou doit-il alors annuler le contrat d’office, ou le principe dispositif met-il le juge à l'écart ?"

Ce sont ces questions qui ont été au centre de l'arrêt de cassation du 4 septembre 2020, que nous interprétons plus en détail ci-dessous.

3. ARRÊT DE CASSATION DU 4 SEPTEMBRE 2020

L'affaire sous-jacente de la Cour d'appel de Gand du 26 juin 2019 qui a donné lieu au pourvoi en cassation concernait un litige relatif à un contrat d’entreprise, dans lequel le prédécesseur en droit de l'entrepreneur/promoteur s'était engagé à construire et à livrer une villa bien définie.

Un litige est apparu par la suite entre les parties, les maîtres d’ouvrage accusant l’entrepreneur de ne pas avoir correctement exécuté le contrat (d’entreprise). Les maîtres d’ouvrage ont donc réclamé 18.253,39 EUR de dommages et intérêts pour des travaux d’entreprise mal exécutés, tandis que l'entrepreneur a réclamé à son tour le paiement de sa facture impayée pour un montant de 863,38 EUR.

Toutefois, le juge d'appel avait rouvert les débats afin de soulever d'office la question de savoir si le contrat avait été conclu conformément aux articles 4 et 6 de la Loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte, et quelles en seraient les conséquences sur la validité du contrat. Ces dispositions, qui sont considérées comme relevant de l'ordre public (voir ci-dessus), imposent l'intervention obligatoire d'un architecte pour l'élaboration des plans et la surveillance de l'exécution des travaux. En pratique, cela signifie qu'un maître d’ouvrage devra faire appel aux services d'un architecte pour pratiquement chaque nouvelle construction ou transformation.

Cependant, les deux parties, tant le défendeur que le demandeur, n'avaient pas pris position à ce sujet dans leurs plaidoiries ultérieures (en degré d'appel). En d'autres termes, aucune des parties n'a demandé la nullité du contrat. Néanmoins, la Cour d'appel a déclaré le contrat nul d’office et a ordonné à l’entrepreneur de rembourser un montant de 18.253,39 EUR, égal aux dommages-intérêts réclamés par les maîtres d'ouvrage.

Un recours en cassation a ensuite été introduit contre cette décision. Dans son arrêt du 4 septembre 2020, la Cour de cassation a statué comme suit :

  • d'une part, le juge, ayant invoqué d'office la nullité du contrat au motif qu'il était contraire à l'ordre public, était en droit, après réouverture du débat, de déclarer le contrat nul et d'ordonner la restitution, même si cette nullité n'était demandée par aucune des parties ; et

  • d'autre part, la cour d'appel n’avait pas le droit de se prononcer sur le montant de ces remboursements (en équivalent) sans donner aux parties la possibilité d'exprimer leur point de vue sur la question. Statuer autrement constituerait une violation des droits de la défense et de l'interdiction de statuer ultra petita (art. 1138, 2° du code judiciaire, voir ci-dessus).

La Cour de cassation a ainsi cassé l'arrêt contesté de la Cour d'appel de Gand du 26 juin 2019 et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Bruxelles.

4. CONCLUSION

Avec cet arrêt du 4 septembre 2020, la Cour de cassation semble laisser prévaloir les principes généraux du contradictoire, du droit de la défense et de l'interdiction de l'ultra petita, dans le cadre des causes de nullité (absolue). Non seulement la sanction de nullité, prononcée d'office par le tribunal, mais aussi les conséquences attachées à cette sanction de nullité, devraient faire l'objet d'un débat contradictoire entre les parties. Ce n'est qu'alors qu'un juge peut valablement déclarer d'office la nullité du contrat.

Dans ce cas, la cour d'appel n'aurait donc pas dû se limiter à permettre aux parties de débattre de la sanction de la nullité après la réouverture des débats. Les parties auraient dû (ou du moins auraient dû pouvoir) prendre position à l'avance sur l'étendue des obligations de restitution, ce qui signifie que la cour d'appel dans cette affaire aurait dû rouvrir les débats une seconde fois.

Pour plus d'informations sur ce sujet, veuillez contacter l'auteur (Joachim Nys) et le chef de cellule Droit de la construction (Siegfried Busscher).

[1] Entre autres, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne a déjà fait pression sur cette distinction dans le contexte des clauses illicites (en droit de la consommation). Voir CJCE 27 juin 2000, C-240/98 à C-244/98, Océano Grupo, considérans 26.

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