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Le coronavirus: qu’en est-il des marchés publics et des adjudications en temps de Covid-19 ?

Marchés publics

15 avril 2020


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Consultez notre page "assistance COVID-19" ou contactez Kris Lemmens (auteur et chef de cellule marchés publics), Jan De Leyn (auteur) et Karolien Van Butsel (auteur).

En plus de l’impact considérable du coronavirus sur leur exécution des marchés (voir notre précédent news flash à ce sujet), la crise du corona a également des conséquences en ce qui concerne l’attribution des marchés publics.

1. Qu’en est-il des besoins urgents des autorités publiques résultant de la crise du coronavirus ?

Tout d’abord les services d’achat des hôpitaux et des autres institutions de soins publiques sont sous pression suite à la demande croissante de matériel médical. Vu que la vie des gens est en jeu, la question de la flexibilité de la règlementation en vigueur en matière de marchés publics se pose. La Commission européenne a déjà publié des recommandations à ce sujet le 1ier avril 2020 (link). 

La Commission européenne réfère aux différentes options flexibles, dont l’attribution directe sans publication préalable, mais si possible après consultation de plusieurs opérateurs économiques, notamment lorsque l'urgence impérieuse résultant d'événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ne permet pas de respecter les délais exigés par la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle avec négociation (article 42, § 1, b) de la Loi relative aux marchés publics du 17 juin 2016 et article 32, 2, c) de la Directive européenne 2014/24/EU). L’application de cette procédure n’est pas limitée au niveau budgétaire. Toutefois les conditions d’application sont particulièrement sévères : il doit être question d'événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur (1), d’une urgence impérieuse pour le pouvoir adjudicateur ne permet pas de respecter les délais exigés par les procédures « classiques » (2), ainsi qu’un lien causal entre ces deux éléments (3). En principe les conditions d’applications doivent être démontrées concrètement dans le cadre de chaque marché public, mais la Commission européenne a déjà affirmé à cet égard que celles-ci sont en principe remplies vu les besoins urgents des hôpitaux et des autres institutions de soins. Cependant la Commission européenne fait observer que les services d’achat ne peuvent que faire appel aux procédures susmentionnées pour autant que celles-ci ne prennent pas plus de temps qu’une procédure transparente, publique ou non, en ce compris les procédures accélérées (publiques ou privées).

Important de préciser que la Commission européenne s’est uniquement exprimée concernant le recours aux procédures flexibles existantes dans le cadre des circonstances actuelles d’extrême urgence. La réglementation belge en matière de marchés publics n’a donc pas été supprimée ou suspendue.

2. Autres marchés publics: éventuellement reportés, mais pas supprimés

En principe la pandémie ne pourrait avoir des implications quant à l’adjudication de travaux, fournitures ou services, vu que la plupart des procédures d’adjudication se déroulent entièrement par la voie électronique. Donc il n’y a, en principe, aucune raison de supprimer les marchés en phase d’appel d’offres. Cependant, cela ne veut pas dire que la phase d’adjudication sera exempte de tout challenge en temps de Covid-19:

  • Les demandes de participation ou les offres qui n’ont pas encore été introduites : absence des collaborateurs (tant du côté privé que public), problèmes de continuité des approvisionnements, indisponibilité des sous-traitants, etc. qui peuvent causer des problèmes lors de l’établissement et la soumission des offres (privé) ou lors de leur examen (public). Bien que les autorités ne soient pas obligées de prolonger les délais d’introduction, ceci est souvent le cas vu que toutes les parties concernées ont intérêt à ce que des offres de qualité soient introduites. La Région Wallonne a déjà invité les organismes adjudicateur à prolonger les délais jusqu’au 20 avril 2020. Le site internet Publicprocurment.be conseille une prolongation d’au moins un mois vu le nombre d’incertitudes qui résultent du coronavirus. Publicprocurment.be est le site-portail des marchés publics du SPF Stratégie et Appui en collaboration avec le service Marché Publics de la Chancellerie du Premier Ministre. À cet égard les dispositions de l’article 59 de la Loi relative aux marchés publics du 17 juin 2016 peuvent être utiles pour les entreprises en difficulté. Cet article stipule qu’en fixant les délais de réception des offres et des demandes de participation, le pouvoir adjudicateur tient compte de la complexité du marché et du temps nécessaire pour préparer les offres en application du principe de la proportionnalité. Il nous semble dès lors défendable qu’une société qui se trouve dans des circonstances particulières ait besoin de plus de temps pour préparer son offre.
  • Demande de participation et offres déjà introduites : Une fois le délai de réception expiré, les problèmes de délais ne pourront plus être solutionnés par la publication d’un avis de rectification. À cet égard le délai d’engagement et la conclusion du marché, qui est de 90 jours en principe (sauf disposition contraire dans les documents du marché) méritent une attention particulière.  Pour autant que l’adjudication n’ait pas encore eu lieu, le délai d’engagement peut encore être prolongé à la demande de l’organisme adjudicateur. Le cas échéant, une différence devra être faite en fonction du moment de cette demande, soit avant, soit après l’expiration du délai d’engagement (articles 58 et 89 de l’AR du 18 avril 2017 et articles 64 et 87 de l’AR du 18 juin 2017).

  L’on pourrait déduire du rapport au Roi qu’en cas de demande de prolongation du délai avant l’expiration du délai d’engagement, le soumissionnaire n’a d’autre choix que de répondre affirmativement pour rester « in the running ». Une réserve à cet égard pourrait être considérée comme un refus. Toutefois, en cas d’indices concrets que la crise du COVID-19 pourrait avoir un impact considérable sur les prix, ou sur d’autres éléments importants de l’offre (par exemple le timing), nous partageons le point de vue du SPF Stratégie et Économie (sur son site internet Publicprocurment.be) selon lequel il vaut mieux se recourir à la procédure de relancement de la procédure d’adjudication après l’expiration du délai d’engagement (cf. à l’article 89 de l’AR du 18 avril 2017 et à l’article 87 de l’AR du 18 juin 2017 ; voir plus loin). Il est important que l’organisme adjudicateur traite tous les soumissionnaires de la même façon, et ce tout en respectant le principe de non-discrimination. Il est en outre préférable que le principe de la sécurité juridique soit respecté pour autant que possible, par exemple en envoyant la demande de maintien de l’offre par courrier recommandé électronique.

Dans l’autre hypothèse, dans laquelle le délai d’engagement est déjà expiré, l’organisme adjudicateur peut demander au soumissionnaire ayant introduit l'offre économiquement la plus avantageuse si celui-ci marque son accord quant au maintien de son offre. Si le soumissionnaire retenu marque son accord, l’attribution et la conclusion du marché peuvent être clôturées. Lorsque le soumissionnaire en question insiste quant à une modification de son offre, l’attribution et la conclusion du marché, y compris la modification demandée, pourront se faire à condition que le soumissionnaire justifie la modification sur base des circonstances qui se sont manifestées après le délai de réception. En plus l’offre modifiée doit rester l'offre économiquement la plus avantageuse. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, l’organisme adjudicateur se dirigera vers :

  1. Soit consécutivement, et selon le classement qui leur a été attribué, aux autres soumissionnaires réguliers (en appliquant la double condition susmentionnée) ;
  2. Soit en même temps, à tous les autres soumissionnaires réguliers en leur demandant de revoir leur offre sur base des conditions initiales du marché. L’organisme adjudicateur doit attribuer et conclure le marché sur base de l’offre qui est devenue l'offre économiquement la plus avantageuse. Les modifications demandées devant effectivement résulter des circonstances qui se sont manifestées après le délai d’introduction des offres.

D’autre part la question se pose en quelle mesure il incombe à l’organisme adjudicateur de régler contractuellement les conséquences (tant financières qu’au niveau des délais) dans les documents des nouveaux marchés. Actuellement les soumissionnaires respectifs risquent en effet de partir d’un point de vue différent lors de la préparation de leurs offres, de sorte que par conséquence celles-ci ne seront plus comparables.

Il est important que l’organisme adjudicateur indique clairement dans les documents du marché comment les soumissionnaires devront incorporer les mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, dont la plus important est la distanciation sociale, afin d’obtenir des offres comparables. Idéalement le pouvoir adjudicateur demandera à tous les soumissionnaires de tenir compte, ou de ne pas tenir compte des mesures de distanciation sociale, tout en prévoyant de clauses de révision au sens de l’article 38 de l’Arrêté royal établissant les règles générales d'exécution des marchés publics, et précisant quelle partie assumera quel risque. À première vue, une base juridique pourrait être trouvée dans les articles 32, § 1 de l’AR du 18 avril 2017 et 40, § 1 de l’AR du 18 juin 2017. En vertu des ces dispositions les mesures imposées par la législation en matière de sécurité et de santé des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, dont la distanciation sociale pourrait faire partie, sont en principe inclues dans le prix offert ; toutefois « sauf disposition contraire dans les documents du marché ».

Dans les procédures de placement avec négociations, les soumissionnaires pourraient faire eux-mêmes la suggestion de reprendre telles clauses, qui précisent par exemple que l’organisme adjudicateur assume le risque des mesures de distanciation sociale si celles-ci sont encore toujours en vigueur au moment de l’exécution du marché. Dans les autres procédures les soumissionnaires pourraient faire observer aux pouvoir adjudicateur qu’il serait opportun de prévoir telles clauses dans le cadre de leur obligation de signaler immédiatement par écrit au pouvoir adjudicateur toute erreur ou omission dans les documents du marché qui rendent impossible l'établissement de son prix ou la comparaison des offres, et ce au plus tard dix jours avant la date ultime de réception des offres (article 81 de l’AR du 18 avril 2017 et 79 de l’AR du 18 juin 2017).

Finalement, nous portons votre attention sur les délais de recours contre les décisions d’adjudication, qui (au moment de la rédaction du présent article) ne sont pas suspendus ni prolongés. En cas d’une demande de suspension d’extrême urgence, le délai est de 15 jours calendrier et en cas d’une demande en annulation, de 60 jours calendrier, à compter de la notification de la décision d’adjudication. Il est donc important que les entreprises assurent le suivi de leur correspondance (par e-mail et par la poste) afin de préserver leurs droits.  

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