sr.search

Nullité absolue de (toutes les?) conventions conclues par un adjudicateur en violation du principe d'égalité et de transparence

Marchés publics

Arrêt de la Cour de Cassation du 22 janvier 2021 (C.19.0303.N)

24 mars 2021


Contact

Dans un arrêt particulièrement passionnant du 22 janvier 2021 (C.19.0303.N) – s'appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice du 14 novembre 2013 (C-221/12) à la suite d'une question préjudicielle dans le cadre du même litige – la Cour de Cassation a estimé que l'obligation de respecter le principe d'égalité et de  transparence visée aux articles 49 (liberté d'établissement) et 56 (libre circulation des services) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (‘TFUE’) afin de garantir une concurrence loyale, constitue un fondement juridique de l'ordre économique et moral de la société” (et est par conséquent d'ordre public).  La Cour de Cassation considère sur cette base qu'une convention par laquelle une ‘entité adjudicatrice’ attribue à un opérateur économique du même État membre une concession de services présentant un intérêt transfrontalier manifeste, en méconnaissant le principe d'égalité et de transparence susmentionné, “fait naître une situation en contrariété avec l'ordre public et est par conséquent totalement nulle à défaut d'objet autorisé”.  Toutefois, en cas de constat de l'inexistence du moindre opérateur du marché potentiel ou de l'existence de raisons impérieuses d'intérêt général imposant la finalisation du marché ou de la concession, la sanction de la nullité absolue pourrait, selon la Cour, être tempérée.

Le fait que la Cour de Cassation vienne maintenant indiquer formellement à son tour que ces principes généraux (du droit européen) sont d'ordre public, implique la possibilité, sur la base de cette jurisprudence, de décider qu'à tout le moins les conventions ayant un intérêt transfrontalier qui accordent un droit économique exclusif à une partie privée, mais qui ne relèvent pas des règles relatives aux marchés publics, sont en principe absolument nulles dès lors qu'elles ont été convenues en contravention avec le principe d'égalité et de transparence.  L'arrêt constitue en ce sens une confirmation notamment de la jurisprudence dite Kinepolis par laquelle dans un arrêt du 25 février 2019 (s'appuyant sur l'arrêt d'annulation du Conseil d'État du 23 décembre 2015, n° 233.355), la Cour d'Appel d'Anvers a estimé qu'un bail emphytéotique conclu sans publication préalable et sans mise en concurrence était frappé d'une nullité absolue pour cause de contrariété à l'ordre public.

Se pose la question de savoir si cet arrêt de cassation trouve aussi à s'appliquer tel quel aux marchés publics ou aux conventions de concession qui s'inscrivent dans le cadre législatif actuel et qui relèvent plus particulièrement de la loi du 17 juin 2013 relative à la protection juridique.  La ‘déclaration d'absence d'effets’ est en effet prévue dans la loi susmentionnée en tant que sanction spécifique pour des marchés qui seraient conclus en méconnaissant les règles (européennes) de publicité des marchés publics ou concernant les délais d'attente.  Ses conséquences sont similaires à la nullité (annulation de tous les engagements contractuels avec effet rétroactif).  Le point de départ est ici que dès que les délais prévus à cet effet par la loi sont dépassés, aucune ‘suspension ou absence d'effets’ du marché ne peut plus être prononcée par une instance de recours quelle qu'elle soit.  La ‘déclaration d'absence d'effets’ n'est toutefois pas une notion connue du droit des obligations belge.  Le législateur belge l'a reprise textuellement de la directive du 11 décembre 2007 sur la protection juridique en négligeant de régler clairement dans la législation les interactions entre les figures juridiques de la déclaration d'absence d'effets et de l'action en nullité, avec pour conséquence qu'il n'est à ce jour pas clair de savoir si une action en nullité sur la base du droit commun peut encore coexister dans ce contexte avec la déclaration d'absence d'effets.  S'il est vrai que la Cour de Justice accorde une grande importance à la sécurité juridique des conventions conclues dans sa jurisprudence en matière de déclaration d'absence d'effets (voir notamment CdJ du 11 septembre 2014, C-19/13 et CdJ du 26 novembre 2015, C-166/14), elle ne s'est jusqu'à présent jamais prononcée explicitement à ce sujet.

L'affaire dans laquelle la Cour de Cassation était appelée à se prononcer dans l'arrêt du 22 janvier 2021 portait sur des conventions de concession de services (relatives à des réseaux câblés) conclues les 26 novembre 2007 et 28 juin 2008 (ainsi que sur des conventions apparentées avenues en exécution de celles-ci).  La figure juridique de la ‘déclaration d'absence d'effets’ n'a été introduite que par la loi du 23 décembre 2009 (entrée en vigueur le 25 février 2010) en transposition de la directive du 11 décembre 2007 relative à la protection juridique introduite dans la législation belge (intégrée à l'époque dans la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics).  Attendu que la déclaration d'absence d'effets n'était donc pas encore applicable dans la législation belge au moment de la méconnaissance litigieuse du principe d'égalité et de transparence, les parties concernées et la Cour de Cassation n'ont pas eu à s'appesantir sur l'éventuel effet restrictif de la déclaration d'absence d'effets sur l'action en nullité.

La Cour de Cassation s'exprime toutefois en termes généraux, indépendamment de tout cadre législatif applicable en matière de marchés publics ou de conventions de concession, ce qui pourrait amener à conclure que les principes énoncés dans cet arrêt sont toujours applicables.  Les seules dispositions de loi que la Cour prend en considération dans le présent arrêt, sont les articles 6 et 1108 de l'ancien Code civil et les articles 49 et 56  du TFUE.  Les articles 6 et 1108 de l'ancien Code civil et le principe d'égalité et de transparence tel qu'énoncé aux articles 49 et 56 du TFUE trouvent bien entendu aussi à s'appliquer aux conventions ayant un intérêt transfrontalier auxquelles la législation actuelle sur les marchés publics (et aussi la sanction de la déclaration d'absence d'effets) est assurément applicable.  Étant donné ces termes généraux et l'importance qu'accorde la Cour de Cassation au respect du principe d'égalité et de transparence, il ne semble pas exclu, sur la base de cet arrêt, que la Cour de Cassation laisse la porte ouverte à une cohabitation entre l'action en nullité et la figure juridique de la déclaration d'absence d'effets.  L'avenir nous dira ce qu'il en est.  À ce propos, il sera particulièrement intéressant de voir ce qu'il adviendra de l'importance que la Cour de Cassation et la Cour de Justice accordent, à la lumière des articles 49 et 56 du TFUE, au principe d'égalité et de transparence, face à l'importance qu'accorde la Cour de Justice à la sécurité juridique dans le cadre du droit des marchés publics.

Pour davantage d'informations à ce sujet nous vous invitons à prendre contact avec Kris Lemmens et Carlo Cardone.

Corporate Social Responsibility

Lire plus

Vacatures

  • Avocats 11
  • Staff
Lire plus