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Nouvelle position du Conseil d’état: l’administrateur délégué peut désormais signer des offres dans le cadre des marchés publics en sa qualité d’organe de gestion journalière

Marchés publics

Le Conseil d’État a toujours considéré qu’un administrateur délégué d’une société ne pouvait pas valablement signer des offres pour des marchés publics dans le cadre de sa gestion journalière.

18 février 2021


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Cette jurisprudence était constante, à tel point que les pouvoirs adjudicateurs précisaient souvent eux-mêmes dans les documents que la signature de ceux-ci par un administrateur délégué dans le cadre de sa gestion journalière ne serait pas acceptée. Récemment la question s’est posée si cette jurisprudence (et l’attitude des pouvoirs adjudicateurs à cet égard) était susceptible de changer et/ou d’évoluer en fonction de la définition du terme « gestion journalière » reprise à l’article 7 :121 du nouveau Code des sociétés et des associations et l’exposé des motifs préalable dans lequel il est expressément repris que la décision de s’inscrire à un marché public pourrait être considéré comme un acte de gestion journalière.

Pour la première fois le Conseil d’État a répondu (partiellement) à cette question pertinente dans son arrêt n° 249.726 du 5 février 2021 : la signature d’une offre par un administrateur délégué en sa qualité d’organe de gestion journalière de la société n’implique désormais plus automatiquement l’irrégularité substantielle de cette inscription.

L’arrêt du Conseil d’État du 5 février 2021

Il s’agissait d’une adjudication par la SA De Vlaamse Waterweg du marché public “Kanaal Gent – Terneuzen te Gent. Herbouw Meulestedebrug en omgevingsaanleg”. La SA A avait introduit un recours administratif, plus précisément une demande de suspension d’extrême urgence devant le Conseil d’État. Et un de ses moyens était fondé sur le fait que l’offre du soumissionnaire retenu, la société simple BCD (composée de la SA B, la SA C et la SA D) n’aurait pas valablement été signée de sorte que celle-ci aurait dû être déclarée substantiellement irrégulière.

La société simple BCD avait opté de faire signer et de soumettre son offre par une seule personne, et ce en vertu d’une cascade de (sous-)mandats dans le chef de chacun des membres individuels de la société simple BCD. Il s’agit d’un procédé qui en soi est légal, à condition que non seulement la procuration du signataire soit juridiquement valable, mais également celle de ses mandants (et ce pour chaque associé de la société simple). Le signataire en question avait signé l’offre pour la SA C (en sa qualité d’associé de la société simple) en vertu d’une procuration donnée par une personne X, qui à son tour était le mandataire d’une personne Y, à savoir l’administrateur délégué de la SA C.

C’est à ce niveau de la cascade de mandats que se situait le problème selon la requérante SA A. Selon les statuts de la SA C l’administrateur délégué était chargé de la gestion journalière. Les statuts ne prévoyaient toutefois aucune disposition dérogatoire et l’administrateur délégué ne disposait pas de procurations spéciales qui lui attribuaient des pouvoirs plus étendus, tels que la signature d’une offre dans le cadre d’un marché public. La SA A a donc argumenté que sa signature n’était pas valable sur base de la « jurisprudence constante » du Conseil d’État selon laquelle il n’est pas permis à l’administrateur délégué de signer une offre dans le cadre d’un marché public en sa qualité d’organe de gestion journalière de la société.

Le Conseil d’État a toutefois fait observer que cette « jurisprudence constante », citée par la requérante SA A, datait d’avant l’entrée en vigueur du nouveau Code des sociétés et des associations. Le Conseil a notamment considéré que celui-ci contient désormais une définition de ce qui doit être compris par le terme « gestion journalière », qui – comme il ressort de l’exposé des motifs – à première vue ne semble pas entièrement correspondre à la définition jurisprudentielle de cette notion dans le passé.

Aux termes de l’article 7 : 121 du nouveau Code des sociétés et des association la gestion journalière de la société comprend « tous les actes et les décisions qui n'excèdent pas les besoins de la vie quotidienne de la société ainsi que les actes et les décisions qui en raison de l'intérêt mineur qu'ils représentent ou en raison de leur caractère urgent ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration, de l'administrateur unique ou du conseil de direction ».

Sans aborder concrètement les différences entre la définition jurisprudentielle et légale du terme « gestion journalière », le Conseil d’état a considéré que, dans la mesure où le moyen de la requérante était fondé sur une ancienne définition jurisprudentielle de ce terme, la définition juridique de celui-ci paraissait suffisamment contestable. Le Conseil a dès lors considéré que l’appréciation de ce moyen dépasserait le pouvoir d’appréciation du Conseil dans le cadre d’une demande de suspension d’extrême urgence. D’autre part, le Conseil a estimé que ce constat en soi suffisait dans ce cas pour débouter la requérante de sa demande de suspension d’extrême urgence.

Apparemment la SA A a encore tenté de démontrer à l’audience qu’en l’espèce la signature (et la procuration sous-jacente) n’était pas conforme à la définition du terme « gestion journalière » du nouveau Code des sociétés et des associations. Le Conseil a toutefois considéré que ces propos tardifs ne pouvaient pas être pris en considération. Le Conseil n’a donc pas contrôlé in concreto si dans le cas d’espèce la soumission de l’offre (par procuration) dans le cadre de ce marché public pouvait être qualifiée d’un acte de gestion journalière, tenant compte du mandat du signataire et des circonstances spécifiques. Il faudra donc attendre que le Conseil d’État s’exprime concrètement sur ce point, et notamment si la signature d’une offre peut être considérée comme un acte de gestion journalière.

Cependant, force est de constater que par cet arrêt le Conseil d’État a (selon nous à juste titre) changé sa position jurisprudentielle concernant la signature d’une offre par un administrateur délégué en sa qualité d’organe de gestion journalière de la société, ce qui désormais n’implique plus automatiquement une irrégularité substantielle de la soumission de l’offre.

Recommandation pour les organismes adjudicateurs et les entreprises

Tenant compte de la nouvelle définition légale de la gestion journalière et de l’arrêt susmentionné du Conseil d’État il reviendra dès à présent aux pouvoirs adjudicateurs d’analyser cas par cas le pouvoir de signature de l’administrateur délégué, qui a signé l’offre en sa qualité d’organe de gestion journalière de la société. À notre avis, il reviendra donc également à l’organisme adjudicateur de faire référence à cette analyse dans sa décision d’attribution en vertu de son obligation de motivation. Ainsi, le Conseil d’État pourra le cas échéant contrôler cette appréciation concrète dans la limite de ses pouvoirs.

Selon nous, un des paramètres à prendre en considération (entre autres) sera le risque de responsabilité lié à l’acte en question assumé par le soumissionnaire. Le type de société, son envergure et son objet social pourraient également être pris en considération. À cet égard, il nous semble évident que la soumission d’offres récurrente et périodique par une société dans le cadre de marchés publics, dont l’étendue est relativement limitée, devrait être considérée un acte de gestion journalière.

Toutefois, la charge de la preuve de cette qualification d’un acte de gestion journalière incombera (en premier lieu) aux soumissionnaires. Lorsqu’une société fait signer son offre par son administrateur délégué (après avoir soigneusement considéré ce choix), il nous semble dès lors opportun de motiver concrètement cette décision, et notamment pour quelle raison la signature de l’offre en question doit être considérée comme un acte de gestion journalière en l’espèce, et que celle-ci est donc valable (idéalement avec des pièces à l’appui). Les paramètres susmentionnés pourront utilisés comme critères directoires, et en tous les cas les critères (alternatifs et non cumulatifs) de la définition légale de la notion de « gestion journalière » aux termes de l’article 7 :121 du nouveau Code des société et des associations, à savoir :

  • tous les actes et les décisions qui n'excèdent pas les besoins de la vie quotidienne de la société ;

  • les actes et les décisions qui, en raison de l'intérêt mineur qu'ils représentent, ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration, de l'administrateur unique ou du conseil de direction ;

  • les actes et les décisions qui, en raison de leur caractère urgent, ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration, de l'administrateur unique ou du conseil de direction ;

Pour plus d’informations concernant ce sujet spécifique, veuillez contacter Jan De Leyn et Janice Demeester (auteurs).

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