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Marchés publics : devoir de motivation strict (?) lors de l’examen de prix apparemment anormaux

Marchés publics

Dans un arrêt du 1er décembre 2021 (T‑546/20, Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium/Commission européenne), le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si — et, dans l’affirmative, dans quelle mesure — les pouvoirs adjudicateurs européens doivent motiver les raisons pour lesquelles l’offre qu’ils ont retenue n’apparaît pas anormale, en particulier lorsqu’un soumissionnaire qui n’a pas été choisi en fait la demande formelle. Bien que les pouvoirs adjudicateurs nationaux ne semblent pas, en première analyse, concernés, la question se pose néanmoins de savoir s’ils ne devraient pas, eux aussi, accorder une attention particulière à la motivation lors de l’examen des prix apparemment anormaux.

23 mars 2022


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Les pouvoirs adjudicateurs européens sont soumis à un devoir de motivation strict 

L’arrêt portait sur l’attribution, par la Commission, d’un marché public de services relatifs (notamment) à la maintenance de plateformes informatiques. Un soumissionnaire évincé estimait que la Commission n’avait pas suffisamment motivé les raisons pour lesquelles elle considérait que l’offre retenue n’était pas anormalement basse, alors que le soumissionnaire non retenu avait formellement demandé des explications supplémentaires à ce sujet.

Le Tribunal a tout d’abord rappelé que le Règlement financier — qui définit les règles applicables aux marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs européens — prévoit une motivation en deux temps pour les soumissionnaires non retenus. Après une première notification à tous les soumissionnaires non retenus du rejet de leur offre et des motifs de ce rejet, ils doivent en effet aussi leur communiquer notamment « les caractéristiques et les avantages relatifs » de l’offre retenue, et ce, uniquement si le ou les soumissionnaires non retenus en font la demande par écrit.

Le Tribunal relève que, face à une telle demande, la Commission n’est pas toujours tenue d’indiquer les raisons pour lesquelles l’offre qu’elle a retenue ne lui est pas apparue anormalement basse. Le Tribunal estime en revanche que ces motifs doivent toujours être fournis si le soumissionnaire qui n’a pas été retenu en fait la demande spécifique et formelle dans sa demande de motivation complémentaire. Ce qu’avait fait en l’espèce le soumissionnaire. Même si la réponse de la Commission aborde l’examen des prix qui avait été effectué, sa motivation se borne, selon le Tribunal, à une formulation standard et est par conséquent insuffisante. Les motifs doivent être suffisamment concrets, permettre au soumissionnaire non retenu de mieux comprendre la différence de prix entre les offres et expliquer pourquoi la Commission a estimé que l’offre retenue ne paraissait pas anormalement basse. Le Tribunal a estimé, de surcroît, qu’il ne pouvait être tenu compte des motifs supplémentaires fournis seulement après l’introduction de la procédure d’appel. La décision de la Commission a donc été annulée.

Du grain à moudre pour les pouvoirs adjudicateurs nationaux ?

 La décision du Tribunal repose sur le fait que le Règlement financier prévoit une motivation en deux temps, qui donne aux soumissionnaires non retenus la possibilité formelle de demander une motivation supplémentaire à la Commission et impose, le cas échéant, à la Commission de les informer des « caractéristiques et avantages relatifs » de l’offre retenue. Lorsque le soumissionnaire souhaite obtenir formellement des explications supplémentaires concernant l’examen des prix qui a été mené, la Commission est également tenue de répondre adéquatement à cette demande.

Le Règlement financier n’est toutefois applicable qu’aux seuls pouvoirs adjudicateurs européens et non aux pouvoirs adjudicateurs nationaux, qui relèvent des directives européennes sur les marchés publics. Ces directives et la loi « recours » belge qui en assure l’exécution ne prévoient toutefois pas une telle approche en deux temps. Elles imposent au contraire au pouvoir adjudicateur de communiquer immédiatement l’intégralité de la décision motivée aux soumissionnaires non retenus, sans qu’il aient à adresser une demande au pouvoir adjudicateur à cet effet. La loi « recours » précise néanmoins que cette décision motivée doit inclure notamment aussi « les motifs de droit et de fait des décisions y afférentes, en ce compris les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ». Néanmoins, selon la jurisprudence constante du Conseil d’État, le fait qu’aucun prix apparemment anormalement bas n’ait été constaté dans le chef de l’adjudicataire retenu ne nécessite pas de motivation supplémentaire dans la décision d’attribution proprement dite.

Se pose d’emblée la question de savoir si l’obligation de motivation apparemment limitée qui semble être imposée aux pouvoirs adjudicateurs à cet égard est encore tenable à la lumière des exigences que le Tribunal impose en la matière aux pouvoirs adjudicateurs européens. L’obligation de motivation a en effet dans les deux cas le même objectif, informer les soumissionnaires qui n’ont pas été choisis des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, afin qu’ils puissent décider en toute connaissance de cause de l’opportunité de saisir une instance judiciaire. L’absence, dans la loi « recours », d’une possibilité explicite de recevoir une motivation supplémentaire semble malencontreusement pouvoir empêcher les soumissionnaires non retenus de prendre connaissance de motifs pourtant pertinents concernant l’examen des prix.

La Commission a dans l’intervalle introduit un recours contre l’arrêt du Tribunal. Il n’est pas exclu que la Cour de Justice saisisse cette occasion pour clarifier la portée exacte de l’obligation de motivation développée par le Tribunal et sa pertinence pour les pouvoirs adjudicateurs nationaux. Affaire à suivre…

 

N’hésitez pas à contacter Kris Lemmens, Cédric Vandekeybus et Ellen Gerits pour davantage d’informations concernant cette thématique.

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