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L’arrêt Heiploeg : nouvel élan pour la faillite « silencieuse » belge (et la PRJ) ?

Insolvabilité

Le 28 avril 2022, la Cour de justice de l’Union européenne s’est à nouveau prononcée concernant la faillite silencieuse (néerlandaise) dans l’affaire Heiploeg. Un repreneur peut dorénavant procéder, dans ce cadre, à une sélection économiquement justifiable des salariés, pour autant qu’il s’agisse clairement d’un scénario de liquidation. La Cour se distancie ainsi de sa jurisprudence antérieure dans les dossiers Estro/Smallsteps et Plessers. Ce changement de cap jurisprudentiel ouvre-t-il la porte à une faillite silencieuse belge ou à davantage de transferts réussis sous autorité de justice ?

Davantage d’informations à ce sujet ci-dessous.

02 mai 2022


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La faillite « silencieuse » ou « organisation de la pré-faillite » ou encore « pre-pack » est une procédure par laquelle une entreprise se prépare à la faillite en toute discrétion, sans publicité, sous la houlette d’un pré-curateur et d’un pré-juge-commissaire. L’entreprise peut ainsi examiner en toute quiétude les possibilités d’un redémarrage, par exemple en passant par une reprise (partielle). La faillite silencieuse existe déjà aux Pays-Bas. En Belgique, son introduction a été remisée dans les cartons en 2017 par le ministre Geens alors en charge du dossier.

 

Une des raisons de ce revirement était la position critique de la Cour européenne de justice concernant le système néerlandais dans l’affaire Estro-Smallsteps sur la base de la Directive européenne 2001/23/CE. Pour rappel : cette Directive part du principe que tous les contrats de travail sont automatiquement transférés au repreneur lors du transfert d’une entreprise. Les licenciements sont uniquement autorisés pour des motifs d’ordre technique, économique ou organisationnel (et donc pas en raison du transfert proprement dit).

 

En cas de procédure de faillite ou de procédure de liquidation similaire sous le contrôle d’une autorité publique compétente, cette règle générale (prévue aux articles 3 et 4 de la Directive 2001/23/CE) ne trouve toutefois pas à s’appliquer et le repreneur peut tout à fait choisir les salariés qu’il reprend (article 5, alinéa 1er, de la Directive 2001/23/CE).

 

À la surprise quasi générale, la Cour a jugé dans son arrêt du 22 juin 2017 dans l’affaire Estro-Smallsteps que la faillite silencieuse néerlandaise ne relevait pas de ce régime d’exception, ce qui a bien entendu rendu une reprise dans le cadre d’une faillite silencieuse beaucoup moins attrayante.

 

Dans l’arrêt Plessers du 16 mai 2019, la Cour de justice a poursuivi cette voie stricte. Cette affaire portait sur un transfert sous autorité de justice dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire belge (appelée « PRJ » ou « LCE 3 »). Ici encore, la Cour n’a pas accordé la moindre liberté de choix au repreneur. L’article XX.86 du CDE et l’article 12 de la CCT n° 102 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur à la suite d’une PRJ ne constituaient pas, selon la Cour, une transposition correcte de la Directive en ce qui concerne les dispositions relatives à la liberté de choix des travailleurs à reprendre. L’arrêt Plessers a fait l’objet d’un examen approfondi dans nos bulletins d’information des 7 février 2019, 6 septembre 2019, 9 juin 2020 et 21 avril 2021.

 

Quasiment contre toute attente, la Cour de justice a changé son fusil d’épaule le 28 avril 2022 dans l’arrêt Heiploeg, qui portait à nouveau sur la faillite silencieuse néerlandaise. Cette fois, la Cour a jugé qu’il doit être possible de transférer une (partie de la) société qui est encore active économiquement, mais dont il a été établi qu’elle court droit à la faillite, en application de l’exception visée à l’article 5, alinéa 1er, de la Directive 2001/23/CE. En d’autres termes, en cas de redémarrage dans le cadre d’une procédure de faillite silencieuse inscrite dans la loi, le repreneur peut décider librement quels salariés il reprendra ou non.

 

Cet arrêt apporte de l’eau au moulin des partisans de l’introduction de la faillite silencieuse en Belgique. Le Livre XX du CDE étant en cours de modification afin de mettre en œuvre la directive européenne relative aux cadres de restructuration (davantage d’informations à ce sujet ici), le législateur belge pourrait reconsidérer sa position concernant l’introduction de la faillite silencieuse.

 

Heiploeg peut par ailleurs aussi constituer une nouvelle opportunité pour la PRJ, en permettant au repreneur de faire une sélection économiquement justifiable de travailleurs. Sur le plan formel, la PRJ s’inscrit dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise. Il est en effet concevable que le cédant poursuive son activité après avoir transféré une partie de ses activités (par exemple une branche d’activité ou un établissement spécifique) tout en en conservant d’autres.

Dans la pratique, la procédure a toutefois souvent le même objectif qu’un « pre-pack », c’est-à-dire préparer une faillite a priori inévitable (y compris le licenciement de tous les travailleurs non repris) et maximiser le produit de la vente pour les créanciers. Il y a lieu de se reporter, dans ce cadre, au projet de loi du 21 octobre 2020 relatif au Livre XX du CDE, qui met notamment davantage l’accent sur la liquidation que sur la continuité lors d’une PRJ. La jurisprudence Heiploeg pourrait de ce fait bien être suffisante pour relever malgré tout de l’exception de la Directive 2001/23/CE. Une faillite silencieuse organisée efficacement pourrait d’autre part rendre la procédure de PRJ en grande partie superflue.

 

Questions? Contactez Dave Mertens, Sofie Bontinck, Sam Ledent, Sara Mannaerts of Emilie Bogaerts.

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